Une fin de tour du Monde difficile…

Cette période fut exceptionnelle pour les tour-mondistes…

Frappés par l’épidémie de COVID dès 2020, certains rentrèrent dans leur pays d’origine, laissant leur voiliers dans un pays lointain, sans aucune garantie sur le délai avant retour à leur vie nomade.

Les plus chanceux, et ce fût le cas pour Cat’Leya, restèrent à l’affût d’opportunités de navigation… Ainsi en Juin 2020, nous pûmes quitter la nouvelle-Zélande pour les Fidji, et profiter ainsi de rivages magnifiques sans l’afflux de touristes… La plupart des non néo-zélandais ne purent malheureusement pas revenir en Nouvelle-Zélande, et après avoir essuyer leur premier cyclone, obtinrent leur sésame pour l’Australie, continuant ainsi leur périple vers l’Ouest.

Cat’Leya a pu bénéficier d’une exemption (comme les néo-zélandais) et ainsi préparer un exceptionnel tour des 2 îles de la Nouvelle-Zélande avec notamment la découverte du Fiordland, de Stewart island par 27 degrés de latitude sud, et de la côte Est de l’île du sud, le tout dans un épisode La Nina favorable à de telles navigations.

Mais, fin 2023, alors que nous reprenons notre route vers l’Ouest, bien décidés à fêter nos 8 années de navigation en Méditerranée, le conflit entre Israël et le Hamas entre dans un nouvelle phase meurtrière et  se répand en Mer Rouge et dans le Nord de l’océan Indien, par l’intermédiaire du mouvement Houthi du Yémen qui cible le trafic maritime. Ainsi, depuis le 1er janvier 2024, ce sont 64 évènements liés à de telles attaques qui sont recensés par la Marine Nationale française dans le secteur ! Tandis que les actes de piraterie d’origine somalienne se multiplient bénéficiant de la mobilisation des forces armées présentes sur la zone contre les attaques Houties… Il y a de quoi faire réfléchir les plus braves des voileux… 

A bord de Cat’Leya, l’attente est de mise pour avoir plus de recul sur ces évènements, et ainsi nous nous engageons opportunément dans un périple de découverte des Maldives, quitte à ne pas bénéficier de conditions météo aussi favorables dans la moitié Nord de la Mer Rouge.

D’autres, prennent l’option Afrique du Sud, mais la plupart décident de rester une saison de plus dans le Sud-Est asiatique.

Début Mars, décision est prise de partir, quelques voiliers ont atteint Port Suez, les marines de nombreux pays se sont mobilisées pour garantir la liberté de navigation en Mer Rouge, et les Houthies semblent viser les navire marchands et particulièrement ceux de pays qu’ils considèrent comme traditionnellement ennemis, israéliens, américains, puis britanniques, ainsi que ceux à destination d’Israël. Ceci étant, nous savons que le risque existe et que les compagnies d’assurance ne garantissent pas les risques de guerre… Je « recrute »un équipier, Mladen originaire de Croatie, car dans ces conditions, une veille de nuit permanente est indispensable.

Selon Captain Heebi, l’un des agents les plus mobilisés pour les voiliers au canal de Suez, à fin mars 2024, 10 voiliers étaient arrivés à Port Suez, le premier étant Monster Project, un Volvo open 70, en Janvier.

La première étape est de s’enregistrer auprès des organismes militaires, Mica-Center en France, MSCHOA (Maritime Security Centre – Horn of Africa) qui coordonne les forces navales européennes, UKMTO (United Kingdom Maritime Trade Operations), et de suivre les consignes (rapport de position quotidien par courriel, ce qui bien sûr signifie moyen de communication à bord). Cat’Leya, comme nombre de tour-mondistes a succombé à la « mode » Starlink, et c’est un outil fantastique (nous en avons même un second en rechange) aussi bien en  communication que pour télécharger des images satellites…

Le voyage comprend 2 étapes :

  1. Maldives – Djibouti, il faut rejoindre tout d’abord le rail IRTC (Internationally Recommended Transit Corridor) qui longe la côte Sud d’Oman puis le Yemen et dont l’entrée se situe au Nord de Socotra, et traverser le redouté Golfe d’Aden, 1280 miles environ,
  2. Djibouti – Port Suez, la partie la plus à risque, avec  en particulier, le passage du détroit de Bal El Mandeb, d’à peine 10 miles de large, à l’entrée de la Mer Rouge, rester sur le rail de navigation tout en évitant les eaux territoriales d’Érythrée, où semble-t-il, les gardes-côtes font du zèle avec les voiliers trop téméraires, puis 70 miles plus au Nord passer les îles Hanish. Une fois atteinte la latitude de la frontière Sud de l’Arabie Saoudite, on peut se considérer sorti d’affaires jusqu’`a Port Suez, 1250 miles environ.

Pour mémoire une traversée Cap-Vert Martinique c’est environ 2200 Miles… C’est donc un passage sérieux, et les conditions sécuritaires constituent un challenge supplémentaire.

Profitant d’une fenêtre météo favorable, nous quittons Malé le 8 Mars. Partir d’Uligamu, au Nord des Maldives constitue un avantage d’un point de vue météo mais la probabilité de rencontrer des flottes de bateaux de pêches est beaucoup plus grande;  Cat’Leya ne croisera qu’un bateau sri-lankais.

La navigation est facile avec du vent portant et une mer calme favorisant une bonne vitesse moyenne, 7 nœuds, malgré des périodes d’accalmie parcourues avec un moteur.

Après 4 jours de navigation, notre radar ne fonctionne plus, je monte au mât et le redescends dans le cockpit, c’est la courroie d’entraînement en polypropylène qui a lâché. Je tente une réparation à chaud mais çà ne tiendra pas longtemps; nous voilà sans radar…

Heureusement la zone de pêche est définitivement passée.

7 jours après notre départ, nous voici par le travers de Socotra, 1 jour plus tard nous nous positionnons à 4 miles au sud du rail IRTC et mettons le cap vers Djibouti.

Finalement il y a peu de cargos, il est vrai que de nombreux armateurs, BP, CA-CGM, EverGreen, Maersk, MSC, Hapg-Lloyd, etc… ont suspendu tout transit en Mer Rouge et ont dérouté leurs navires vers l’Afrique du sud.

Au  coucher de soleil, nous apercevons un monocoque, sous voile d’avant seule, à quelques miles sur notre tribord, un appel radio restera infructueux, une heure et demie plus tard, nous le découvrons toujours sans AIS, et sans feu de navigation mais cette fois à moins de 200 mètres sous notre vent, petit moment de frayeur… Cette fois-ci il répond à nos appels et explique qu’il espère ainsi passer invisible… Vu la portée des feux de navigation (2 miles pour les feux de coques, 5 miles pour le feu de mât alors que nous naviguons à plus de 80 miles des côtes Yéménites), nos feux de navigation sont bien sûr allumés ainsi que notre AIS; c’est ce qui nous a été d’ailleurs conseillé par notre interlocuteur du MSCHOA qui peut ainsi nous suivre.

Puis nous entrons dans le golfe d’Aden, de temps à autre, une annonce radio au fort accent japonais nous incite à rapporter tout mouvement de bateau suspect, ou des échanges entre un avion de reconnaissance et la terre, etc… Bref, il ne s’est pas passé grand chose…

Nous voici à Djibouti en un peu moins de 12 jours, l’occasion de réparer le radar, faire le plein de gas-oil, quelques courses de frais et de bière (introuvable aux Maldives), et de dépenser 450 U$ de frais d’agent (sans compter les visas !) Les infrastructures datent de l’époque coloniale, les panneaux des bâtiments n’ont même pas été remplacés, gendarmerie nationale, laboratoire d’analyses, etc…

La présence uniquement française a été remplacée par une multiplication des bases militaires, française, américaine, chinoise, japonaise et italienne sans compter les navires de guerre des opérations menées dans la Mer Rouge; les loyers ainsi perçues par l’état sont estimés à 128 Millions d’Euros par an (la future base saoudienne devrait quasiment faire doubler ce nombre), somme manifestement insuffisante pour assurer un avenir à la population; le taux de chômage dépasse ici 60%, et nombreux sont les migrants de Somalie ou d’Éthiopie cherchant une vie meilleure. Le français est resté l’une des langues officielles et le supermarché d’à côté est un Géant Casino ( 21 Euros le kilo de bananes tout de même, mais des bananes dorés made in Saudi Arabia).

Les épisodes de vent portant sont désormais moins fréquents, et de surcroit de courte durée, nous voici donc partis 3 jours après notre arrivée pour Suakin, au Soudan, 590 Miles plus au Nord; cette fois, les choses sérieuses commencent…

Partis tôt, nous atteignons le détroit de Bab El Mandeb avant le coucher du soleil, nous croisons un navire de guerre, les annonces radio sont plus fréquentes.

Deux clandestins se sont invités à bord…

Nous nous positionnons cette fois entre les rails montant et descendant de façon à éviter tout problème avec les garde-côtes Érythréens. Le vent, la houle et les courants sont favorables, notre vitesse oscille entre 9 et 11 Noeuds ! Le lendemain nous passons par le travers des îles Hanish du Yemen. Il ne nous reste plus qu’à atteindre la latitude de la frontière saoudienne et nous serons sauvés ! Le vent faiblit et tourne au Nord comme prévu, nous prenons un cap vers la côte saoudienne afin de finir par un long bord au près tribord amure vers Suakin que nous atteignons au bout de 4 jours de traversée.

Le site est magnifique, Suakin est en fait une île relié au continent par un petit pont, au milieu d’un port naturel très protégé et facile d’accès, ce qui explique les milliers d’années de prospérité de la cité.

Suakin est probablement le port romain d’Evangelon Portus mentionné par Ptolémée. Le port a commencé à attirer les commerçants arabes au Xe siècle. Au XVe siècle, il était devenu un site de commerce essentiel pour l’Égypte mamelouk, attirant les marchands vénitiens et indiens, qui y faisaient du commerce jusqu’à l’invasion ottomane de 1517. C’est au cours de l’occupation ottomane que de nombreux bâtiments ont été construits en utilisant des blocs de corail.

Au milieu des ruines, 2 mosquées qui ont été rénovées, l’ancienne banque nationale d’Égypte, …

et un rapace, maître des lieux.

Aujourd’hui, Suakin est en plein déclin et ce, depuis que les britanniques ont construit port Soudan dans les années 1920. Les autorités ont peu à peu déplacer les administrations de sorte qu’il ne reste plus rien… Même les travaux de reconstruction de la cité débutés par la Turquie semblent arrêtés.

La pauvreté se lit sur la maigreur des quelques femmes aperçues et de certains enfants, les bâtiments ont fait place à un véritable bidon-ville,  baraques de bois et de tôles, c’est la période du ramadan, mais il n’y a aucune activité visible… Le soir les hommes se rassemblent et dînent dans des « restaurants », mais où sont les femmes ? La guerre n’est pas très loin, là-bas dans le Sud, et pourtant, partout, ce sont des sourires qui nous accueillent.

Le drone donne un aperçu plus dramatique de l’ancienne cité.

Quelques minutes après avoir posé le drone, des militaires montent à bord et exigent de voir le drone… Ils veulent me conduire à leur bureau à terre. Je leur montre les photos… leur explique que tout les locaux voulaient des photos eux aussi, que le gardien de l’ancienne cité nous à autorisés à prendre des photos, et que personne ne m’a dit qu’il était interdit de faire voler un drone… Finalement, grâce à l’intervention de mon agent, Mohamed, ils conviennent d’un malentendu et m’expliquent que, le pays étant en guerre et n’ayant jamais vu de drone, ils pensaient être l’objet d’une attaque… Le soir ils sont invités à prendre un café à bord après le jeûne quotidien du ramadan.

Au départ de Suakin, nous envisagions de nous arrêter dans une marina sur la cote de l’Égypte.  Mauvaise surprise, les formalités de « clearance » dans la Mer Rouge sont facturés pour un montant d’environ 1800 US$, sans compter les frais d’agent, les frais de marina, en gros 3000 US$ pour une semaine… Bienvenue en Égypte !

Nous visons donc un mouillage dans le Nord du Soudan près de l’Égypte, Marsa Oseif.

Ici aussi des militaires s’approchent et montent à bord, ils contrôlent notre « cruising permit », prennent contact avec notre agent et repartent… Le propriétaire d’un autre voilier me dira plus tard que, 9 ans plus tôt, il est a été détenu ici 9 jours…

Plus de surprise quant à la météo désormais, il faut si possible éviter le vent de Nord qui peut souffler à 30 nœuds et crée une mer courte et dure, et privilégier les conditions calmes, quitte à user des moteurs…

Le surlendemain, nous quittons le Soudan pour une navigation de plus de 300 miles et enfin, l’Égypte… Soma Bay à 200 miles de Port Suez.

Nous y retrouvons des voiliers partis avant nous et que nous suivons sur le groupe Red Sea. Le temps de quelques réparations et direction  Port Suez.

Ces 200 miles furent agités, mer courte et hachée, vent dans le nez… on dirait la Méditerranée…  dernier stop avant Suez et beau coucher de soleil.

Et nous voici enfin à Port Suez…

CAT’LEYA fait partie de la dizaine de bateaux qui on traversé la Mer Rouge cette année, ils sont fous ces gaulois !

 

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